Sixième principe (4)
Sixième principe : huitième section
Et tout ceci [l'obligation de ne pas croire, et de juger avec indulgence] s'applique même s'il s'agit d'un homme ordinaire, qui n'a pas l'habitude de fauter, mais à qui il peut arriver de trébucher. À plus forte raison s'il s'agit d'un homme qui a la crainte du Ciel, à qui la mitsva de « juge ton prochain avec indulgence » s'applique encore davantage (voir le Rambam, le Bartenura et le Sfat Emet ci dessous ; voir également Rabbénou Yona, Shaaréi Téshouva, 218). L'auditeur transgresse [ce commandement positif] lorsqu'il juge ainsi cet homme coupable, et lorsqu'il approuve les paroles que prononce le médisant. À coup sûr, il transgresse également l'interdiction d'ajouter foi aux paroles de lashone har'a.
Voici le texte du Rambam sur Pirké Avot 1,6 :
והוי דן את כל האדם לכף זכות - Juge chaque homme du côté du mérite »
Le cas abordé ici [par le Tanna Yéoshou'a ben Pérahia] est celui d'une personne dont on ne sait pas si elle est méritante ou non, et qu'on voit accomplir un geste ou qu'on entend prononcer une parole qui, interprétées d'une certaine façon sont bonnes, et interprétées d'une autre façon sont mauvaises. [Dans cette situation], on a le devoir de porter un jugement positif, et non un jugement négatif.
Mais si c'est une personne connue par tous comme un Tsaddiq, un homme de bonnes actions, et que l'acte qu'on le voit commettre, semble, quel que soit le point de vue, être un méfait, et qu'on ne pourrait le juger positivement qu'au prix de grandes distorsions, comme une lointaine éventualité, il convient de le juger positivement, du fait qu'il existe une possibilité [si éloignée soit-elle] que [cet acte] soit un bienfait. Il ne nous est pas permis de le soupçonner, et c'est à ce sujet que nos Sages ont dit : « le corps de celui qui soupçonne des hommes droits sera frappé. » (Shabbat 97a)
[Selon la même logique], quand nous voyons agir un malfaiteur, dont les actions [mauvaises] sont connues, et que presque tout indique qu'il s'agit d'un bienfait, mais qu'un aspect peut faire penser à l'éventualité éloignée qu'il s'agisse d'un mal, il convient de se protéger de cette personne, et de ne pas croire qu'il a agi pour le bien, puisqu'il existe une possibilité que ce soit pour le mal. Il est écrit à ce sujet : « כִּי-יְחַנֵּן קוֹלוֹ, אַל-תַּאֲמֶן-בּוֹ: כִּי שֶׁבַע תּוֹעֵבוֹת בְּלִבּוֹ - Bien qu'il s'exprime avec aménité, ne lui fais pas confiance, car son cœur est empli d'abominations ! » (Mishléi - Proverbes 26,25) (1)
Mais si on ne connaît pas la personne, et qu'on ne peut pas identifier l'action [dont on est témoin] comme attribuable à l'un ou l'autre des extrêmes, alors d'après la voie de la piété (בדרך החסידות), on a le devoir de juger une personne comme méritante, quel que soit le côté vers lequel [son acte] semble pencher. »
Ovadiah ben Avraham de Bartenura (v.1445-v.1515, qu'on appelle en général simplement « Bartenura ») est l'auteur d'un célèbre commentaire des Pirkei Avoth. À propos de cette Mishna, il écrit : « Si tu vois ton prochain commettre quelque action que tu pourrais juger soit sévèrement, soit de manière indulgente, tu dois le considérer favorablement, en ne le soupçonnant pas d'avoir commis une faute (Rashi sur le traité Shevouot 30a). De même, nos Sages ont dit : ''Celui qui juge son ami avec bienveillance, on le jugera lui aussi favorablement.'' (Shabbat 127a) »
Bartenura est tout-à-fait dans les pas du Rambam.
Le Sfat Emet (Rabbi Yehudah Aryeh Leib Alter, 1847-1905, le Rabbi de Gour) propose un autre éclairage :
Certains remarquent qu'ici, il est écrit littéralement : ''Juge tout l'homme avec indulgence.'' Non pas ''kol adam - tout homme'', mais ''kol haadam - tout l'homme''. Cela se rapporte à l'individu dans son ensemble, dans tous les aspects de sa personnalité. C'est-à-dire que même si, sur un certain point, il ne se comporte pas correctement, il est probable que par ailleurs, il a d'autres dimensions, de bonnes qualités qui pourront prendfre le pas sur le comportement apparemment mauvais dont tu as été le témoin. » (2-3)
Sixième principe : neuvième section
Comme on l'a vu dans la première section, l'interdiction d'ajouter foi aux [paroles de] lashone har'a s'applique lorsque celui qui parle affirme que telle personne a fait telle chose inconvenante (et nous avons alors l'obligation de ne pas croire, en notre for intérieur, que la chose soit vraie.) De même, cette interdiction s'applique dans d'autres cas de médisance interdite, comme on l'a expliqué précédemment, comme le fait de faire honte à une personne à cause des méfaits de ses ascendants, ou de ses propres actions, alors même qu'il a modifié son comportement [pour le bien] ; ou encore de l'humilier du fait de son [supposé] manque de sagesse, dans le domaine de la Torah, ou celui des affaires profanes, et tout ce dont on a parlé dans les principes 4 et 5.
En toute chose qui a pour lui un caractère du dénigrement, nous avons reçu le commandement de ne pas accepter les paroles de celui qui parle de cette manière, de sorte que la personne dont on parle ne soit pas humiliée à nos yeux. En résumé, dans tous les cas où il y a un interdit pour celui qui parle à cause de ses paroles, il y a également un interdit pour l'auditeur du fait de ce qu'il accepte d'entendre !

Mis en ligne le Elloul 5782 (13 septembre 2022)
1 Le Rabbinat traduit : « s'il prend une voix caressante, ne te fie pas à lui, car son cœur est plein d'horreurs.
2 La Mishna expliquée - Qéhati ; Traité Avoth ; traduction française du Rav Aharon Marciano, Ass. Torat Éliyahou, Jérusalem, 2013
3 Voir aussi Rabbeinu Yonah, Sha'aré Téshouva, 218.