Quatrième principe (2)
L'interdiction du lashone har'a ; Quatrième principe : Troisième section
Cette loi est soumise à différentes conditions comme je vais l'expliquer. Si la personne [qui fait l'objet du lashone har'a] est une personne « moyenne » (1), un simple Juif qui se garde généralement de la faute, qui a trébuché à cette seule occasion, et dont il est raisonnable de supposer que c'est involontairement qu'il a commis cette transgression, ou bien qu'il ignorait que la chose fût interdite, ou encore qu'il pensait que la règle était une «ḥoumra » (2), ou un encouragement vers une bonne mida auquel [seuls] les hommes pieux sont attentifs, on doit certainement lui accorder le bénéfice du doute. Il est interdit de le dénoncer, de sorte qu'il ne devienne pas un objet de honte devant ses proches, et qu'il ne soit pas humilié à ses propres yeux. Il est également interdit de le détester pour cela, car on a le devoir de le juger « lékaf zékhout ». D'après de nombreux Poskim, c'est un commandement positif de la Torah, comme il est écrit : « juge ton semblable avec justesse » (3)
L'interdiction du lashone har'a ; Quatrième principe : Quatrième section
Cependant, s'il apparaît que le fauteur connaissait le issour (l'interdiction) spécifique, et qu'il a commis la faute intentionnellement, comme les relations interdites, la consommation de nourritures interdites et d'autres issourim de ce genre dont la connaissance est répandue parmi les Juifs (4), voilà comment il faut considérer les choses : « Si c'est un « bénoni » (5) en d'autres circonstances, qui se garde généralement de la faute, qui n'a été vu ici transgresser qu'une seule fois, et en secret, il est interdit de révéler sa faute à d'autres, même si c'est en l'absence [du fauteur]. Celui qui la révélerait se rendrait coupable. Il est possible (6) en effet que la personne fautive ait fait Téshouva quant à sa mauvaise action, que son esprit se soit agité à cause d'elle, et que HaQadosh Baroukh Hou lui ait pardonné. Car l'amertume du cœur est la racine de la Téshouva, et si l'on rend sa faute publique, il deviendra un objet de mépris et de raillerie aux yeux des hommes, alors qu'il s'est repenti de sa faute et a été pardonné ! Par conséquent, la personne irréfléchie qui parle de cette faute sera elle-même fautive et coupable. On ne doit pas même le révéler aux juges de la ville, même s'il a pour lui un second témoin pour confirmer ses dires, parce que s'il n'en a pas, même sans [prendre en considération la possibilité que le fauteur se soit repenti], il est interdit de révéler quoi que ce soit [puisqu'il est un témoin unique (7)], les juges n'ont pas le droit de croire ce qu'il dit, et n'auront d'autre choix que de le désigner que comme un « ba'al lashone har'a », comme on l'expliquera plus loin. Rien de bon ne peut donc sortir [de la révélation de cette faute].
Il a cependant le devoir de le réprimander en privé, pour s'être rebellé contre HaShem par sa transgression, et il doit lui conseiller de se tenir à distance des facteurs qui l'y ont entraîné, de sorte qu'il n'en vienne pas à fauter de nouveau. Il aura soin de lui parler gentiment, de manière à ne pas lui faire honte comme il est écrit : « הוֹכֵחַ תּוֹכִיחַ אֶת-עֲמִיתֶךָ, וְלֹא-תִשָּׂא עָלָיו חֵטְא - Reprends ton prochain, et tu n'assumeras pas de faute à cause de lui. » (8)
Tout ce que nous avons dit [depuis le début de cette section] s' applique même s'il ne s'agit que d'une personne « moyenne » à d'autres égards. C'est évidemment d'autant plus vrai s'il s'agit d'un Talmid Ḥakham, qui craint la faute, et qui a été brutalement submergé par son penchant au mal. Dans ce cas, c'est une grave transgression de rendre sa faute publique. Il est interdit même de lui rappeler sa faute [car on doit supposer qu'il] a certainement fait Téshouva et que, bien que son yetser har'a l'ait emporté sur lui à une occasion, son esprit est plein d'amertume et son cœur est empli de crainte et de culpabilité. Comme Ḥazal l'ont enseigné : « Si tu as vu un Talmid Ḥakham transgresser dans la nuit, ne pense pas à mal à son sujet le jour [suivant], car il a certainement fait Téshouva ! » (9),
Dans le même ordre d'idée, la Guémara enseigne : « On a enseigné dans le Beth Midrash de Rabbi Yishmaël ''Si tu as vu un Talmid Ḥakham transgresser dans la nuit, ne pense pas à mal à son sujet le jour [suivant], car il a peut-être fait Téshouva entre-temps.'' » La Guémara marque son désaccord : « Est-ce qu'il te vient à l'esprit qu'il a seulement ''peut-être'' fait Téshouva ? Ne doit-on pas lui donner le bénéfice du doute ? [Dis] plutôt qu'il a certainement fait Téshouva ! » Et la Guémara ajoute : « L'idée qu'on doit toujours accorder le bénéfice du doute à un Talmid Ḥakham et estimer qu'il a fait Téshouva s'applique spécifiquement à des sujets qui le concernent personnellement. Mais si l'on est témoin d'une transgression commise par un Talmid Ḥakham et qui affecte les biens d'autrui, on n'est pas tenu de lui accorder le bénéfice du doute. En fait, il ne doit penser que le fauteur a fait Téshouva que lorsqu'il a vu l'argent rendu à son propriétaire [légitime] (10).
L'interdiction du lashone har'a ; Quatrième principe : Cinquième section
Pour autant, s'il s'avère que le fauteur est l'un de ceux qui méprisent [la Torah] et haïssent ceux qui les réprimandent, ainsi qu'il est écrit : « N'admoneste pas le railleur, car il te haïrait [fais des remontrances au sage, et il t'en aimera davantage.] » (11) car leurs paroles [de reproche] ne seront certainement pas acceptées. De tels hommes s'en retournent aisément à leurs folies, si bien qu'il est très probable qu'ils en viendront à fauter de nouveau. C'est un cas où il vaut mieux s'adresser aux juges de la ville, pour qu'il puissent châtier [les fauteurs] pour leurs transgressions, et prévenir de nouvelles fautes. Il en va de même, semble-t-il, lorsqu'on s'adresse aux proches du transgresseur, [si l'on sait] que leurs paroles [de réprimande] auront quelque effet sur lui.
L'intention de celui qui fait ce rapport doit être « léShem Shamayim » (sans aucun intérêt personnel d'aucune sorte), dans le zèle pour le Service divin, et non par un sentiment de haine ou pour toute autre raison [d'intérêt personnel]. Les juges eux-mêmes devront sanctionner le fauteur en secret, et ne pas « faire pâlir son visage » en public, ainsi qu'il est écrit : « Reprends ton prochain, et tu n'assumeras pas de faute à cause de lui. » (12) Tout cela dans le cas où ils l'ont vu avec deux témoins (13). Mais s'il est un témoin unique, il ne peut témoigner contre son prochain, car son témoignage serait sans objet aucun, et les juges ne pourraient s'appuyer sur lui ainsi qu'il est écrit : « Un témoignage isolé ne sera pas valable contre une personne, quel que soit le crime ou le délit, quelque faute qui lui soit imputée : c'est par la déposition de deux témoins, ou de trois, qu'un fait sera établi. » (14) Par conséquent, [s'il agit ainsi], il est considéré comme « motsi shem r'a » (un calomniateur) dont nos Maîtres ont dit : « L'homme se présentant en tant que témoin unique pour accuser son prochain d'une transgression [qu'il commet également] reçoit des coups pour rébellion » (15), et nos Sages ont également enseigné « Trois [catégories de personnes] sont détestées de HaQadosh Baroukh Hou [et l'une d'entre elles est] celui qui voit une 'ervah (16) chez son prochain et le dénonce [alors qu'il est] un témoin unique. » (17) Ce qu'il peut faire en pareil cas, c'est en parler en secret au Rav de cette personne, et à une personne de confiance, s'il sait que ses propos seront acceptés comme ceux de deux témoins. Le Rav a le droit de le stigmatiser, et de prendre ses distances avec lui, jusqu'à ce qu'il vienne à sa connaissance que la personne s'est repentie de ses mauvaises voies. Mais son Rav n'a pas le droit de révéler la chose à d'autres, puisque [sa position] n'est pas meilleure que s'il avait été lui-même témoin [de ces mauvaises actions], comme on l'a dit dans la quatrième section ci-dessus.

Mis en ligne le 10 Iyar 5782 (10 mai 2022)
1 Voir plus haut 3,7.
2 « חֻמְרָא », littéralement, une « rigueur », soit une mesure de piété qu'un homme pieux souhaitera s'imposer dans l'accomplissement d'une mitsva, mais qui ne constitue pas une obligation halakhique, et ne s'impose donc pas à tous les Juifs.
3 Wayiqra - Lévitique 19,15 ; voir plus haut 3,7.
4 On parle ici de mitsvot négatives que presque tous les Juifs connaissent, comme l'interdiction de manger le jour de Kippour ou de fumer le Shabbat. Le Ḥafets Ḥayim renvoie ici au « Sha'aré Téshouva » de Rabbeinu Yonah, 215, 218, et 220.
5 Comme on l'a vu plus haut (principe 3, section 7), un homme dont les mérites sont équivalents aux démérites. Un homme « moyen ».
6 Puisque c'est un bénoni, même s'il commet des fautes, il a un niveau (même moyen) de crainte du Ciel, et par conséquent peut faire Téshouva (ce qui est certain dans le cas du Tsaddiq, comme on le verra plus loin, et moins probable dans celui du Rash'a.)
7 En matière de procédure criminelle (« Dinéi néfashot »), un témoin unique ne peut être entendu (Sanhédrin, Mishna 4)
8 Wayiqra - Lévitique 19,17. « tu n'assumeras pas de péché à cause de lui. » c'est-à-dire en lui faisant de durs reproches (Rashi cite 'Arakhin 16b : « Tu ne le feras pas pâlir de honte en public. »)
9 Berakhot 19a.
10 Ibid.
11 Mishléi - Proverbes 9,8 : « אַל-תּוֹכַח לֵץ, פֶּן-יִשְׂנָאֶךָּ; הוֹכַח לְחָכָם, וְיֶאֱהָבֶךָּ »
12 Wayiqra - Lévitique 19,17
13 C'est que le dénonciateur fait partie d'un groupe d'au moins deux témoins (Voir Makkot 2b).
14 Dévarim - Deutéronome 19,15 : «לֹֽא־יָקוּם֩ עֵ֨ד אֶחָ֜ד בְּאִ֗ישׁ לְכׇל־עָוֺן֙ וּלְכׇל־חַטָּ֔את בְּכׇל־חֵ֖טְא אֲשֶׁ֣ר יֶֽחֱטָ֑א עַל־פִּ֣י ׀ שְׁנֵ֣י עֵדִ֗ים א֛וֹ עַל־פִּ֥י שְׁלֹשָֽׁה־עֵדִ֖ים יָק֥וּם דָּבָֽר»
15 Rabbénou Yona, Sha'aréi Téshouvah, 3,220, citant Pessaḥim 113b.
16 Littéralement, une « nudité », c'est-à-dire par métonymie un comportement immoral.
17 Pessaḥim 113b.
