Pin'has : la pureté d'un geste unique
Entrez votre texte ici...

La Parashat Pin'has permet de poser, parmi d'autres questions, celle de ce qu'en langage contemporain on appellerait « le fanatisme religieux », sous sa modalité la plus radicale, c'est-à-dire la mise à mort d'un être humain.
La Torah pose ce problème en des termes infiniment complexes et subtils. On ne prétendra pas en épuiser le sens dans cette page.
Rappelons que Pin'has, d'un coup de sa lourde lance, met fin à la vie d'un homme et d'une femme, qui se livraient publiquement à une union interdite, en même temps qu'à l'idolâtrie.
Stupéfaction générale. L'événement est inédit !
« Les Cieux et la terre furent frappés de stupeur devant le geste de Pin'has (...) Rien de tel ne s'était jamais produit en Israël » enseigne le Rav Munk.
À première lecture, il ne semble pourtant pas y avoir de problème. Les premiers versets affirment clairement la pleine approbation divine : Pin'has a « détourné Ma colère », il a « vengé Ma vengeance », et Je lui offre une « Brit Shalom - une alliance de paix » ! (Bamidbar 25,11)
Les choses ne sont pas aussi simples, bien entendu, et l'acte de Pin'has soulève des critiques.
Les premières, et les moins fondées, portent sur la légitimité de Pin'has à agir comme il l'a fait. Les tribus, rappelle Rachi (d'après Sanhédrin 82b) « se moquaient de lui : « Avez-vous vu ce fils de Pouti, celui dont le grand-père maternel, [Yithro], engraissait (pitém) des veaux pour l'idolâtrie, tuer le prince d'une tribu d'Israël ! », le texte retrace ici sa généalogie depuis Aharon »
Pour un autre Midrash, la critique remonte à Aharon lui-même, du fait de son implication dans la fabrication du veau d'or.
La réponse est dans les versets. L'action de Pin'has était pleinement « Leshem Shamaïm » affirme la Torah : « De Ma jalousie il a fait sa jalousie », mais à l'origine, c'est bien de la « jalousie » de HaShem qu'il s'agissait.
Rav Yehoshoua de Kutna enseigne que, dans le zèle et la « jalousie » éprouvés par Pin'has devant la conduite de Zimri, il n'y avait pas une once d'intérêt ou de désir de vengeance personnels. Seul le souci de l'honneur de D.ieu l'animait.
La seconde critique, c'est que Pin'has a agi sans prendre le conseil des Sages.
Peut-être, mais il a pris conseil de Moshé, à qui il a pu rappeler son propre enseignement, consigné par la Mishna (Sanh. 81b) en tant que « Halakha leMoshé miSinaï » : « Habo'el aramit qanayin pogu'in bo - celui qui cohabite avec une femme araméenne, les zélotes peuvent le tuer ».
Moshé l'a dès lors, quoi qu'indirectement, encouragé à agir en disant : « que celui qui lit la missive soit l'agent [de son exécution] » (ibid. 82a).
Rashi précise au passage le sens du mot « qanayin » (qu'on a rendu par « zélote ») : « Une personne méritante, qui prend sur elle-même de venger l'honneur du Tout-Puissant, peut, lorsqu'elle voit la faute en train de se commettre, tuer le fauteur. Cependant, une fois l'acte commis, elle ne peut plus agir ainsi. »
D'autres restrictions s'imposent par ailleurs.
Cette loi est de celles qu'on enseigne pas. Personne ne peut juger si le cœur d'un homme est assez pur de toute forme d'intérêt, de rivalité, d'orgueil ou d'hostilité personnelle. Seule la Torah peut témoigner de la perfection des intentions de Pin'has.
Et même dans ce cas, la Guemara (ibid.) fait savoir que si Zimri s'était retourné et avait réussi à tuer Pin'has, un tribunal n'aurait pu le juger pour cela, car la « loi du poursuivant » (l'équivalent de la légitime défense) s'appliquait pleinement à Pin'has !
Une fois dans sa vie, Pin'has a vu réunies toutes les conditions, en lui-même, et dans l'environnement. Une seule fois.
Its'haq Avinou était le modèle de Pin'has, enseigne un autre Midrash. La valeur numérique de leur deux noms (208), est identique. Pin'has partage la prédilection de notre ancêtre pour la Midat haDin (le principe de stricte justice). Plus encore, Yits'haq avait été prêt à mourir pour l'amour de Hashem ; Pin'has alla jusqu'à tuer au nom du même engagement.
Le verset 12 invite Moshé à annoncer lui-même à Pin'has que Hashem veut conclure avec lui une « alliance de paix ». Le verset commence par le terme « lakhen » qui fait souvent référence à un serment à l'appui des paroles prononcées. De quel serment s'agit-il ? Le Netziv enseigne que Pin'has s'engagea à résoudre désormais de tels conflits par la voie pacifique !
En effet, dans divers épisodes rapportés par le sefer Shoftim (les Juges) ou les Divrei hayamim (Chroniques) on le voit s'abstenir de toute action, ce qui n'est pas nécessairement porté à son crédit. La promesse divine comprenait également la prêtrise (bien qu'il eût tué un homme, motif pour lequel elle avait été refusée à Moshé), ainsi qu'une longévité exceptionnelle puisqu'un Midrash rapporte qu'il vécut environ quatre cents ans, sans plus jamais avoir recours à la violence.
La Torah, semble-t-il, n'interdit pas absolument de tuer au nom de D.ieu.
Néanmoins, comme toujours, la réponse est réfléchie, travail des orfèvres de la Loi. Il faut étudier les pages magnifiques qu'y consacre le Traité Sanhédrin !
Les conditions à réunir frôlent l'impossibilité, particulièrement de nos jours, où personne ne pourrait légitimement se présenter comme un « zélote ».
L'interdiction générale du meurtre n'est jamais ignorée, même si l'on admettait des intentions absolument pures.
Chaque Juif doit viser l'engagement sans concession dans le Service divin.
Le fanatisme meurtrier n'y a pas de place.
