Les eaux de Mériva :

La relève de Moshé

Lé'ilou nishmat Avraham ben Sultana

Pour la réfoua chélema de Liora bat Lévana, et de tous les malades en Israël

Terrible épisode que celui des « eaux de la discorde », à l'issue duquel Moshé Rabbénou s'entendra interdire l'entrée en Eretz Yisrael, jusqu'à l'arrivée de Mashia'h, (bientôt et de nos jours !)

Il s'agit là, comme l'écrit le Rambam (Rabbi Moshe ben Maïmon, 1138-1204) d'« un des passages difficiles que présente la Torah, au sujet duquel on a déjà beaucoup disserté pour découvrir le péché que Moshé a commis. » (Shemona praqim, 4)

C'est donc avec les plus grandes précautions qu'il faut aborder une telle question, quand il s'agit de porter un jugement sur les « fautes » des plus grands de nos prophètes. La sévérité qu'expriment les Midrashim et les commentateurs de toutes les époques doit se lire à la mesure de ces personnalités exceptionnelles. Gardons-nous d'oublier cette dimension : ce qui, à notre niveau et à nos yeux, est une très légère imperfection, sera considéré au leur comme un grave manquement.

Sous un autre angle, c'est aussi un rappel qu'au contraire d'autres traditions, nous avons affaire à des êtres humains, quelle que soit leur grandeur, de qui Hashem attend le perfectionnement, et non la perfection.

Le Texte saint donne des indications qui orientent l'interprétation dans deux directions.

D'abord, face à la plainte du Peuple, Moshé et Aharon consultent Hashem, et reçoivent la réponse suivante : « Prends le bâton et assemble la communauté, toi ainsi que Aharon ton frère, et dites au rocher, en leur présence, de donner ses eaux : tu feras couler, pour eux, de l'eau de ce rocher, et tu désaltéreras la communauté et son bétail. » (Bamidbar 20,8)

Or, comme on l'apprend au 'heder, Moshé frappe le rocher, par deux fois, au lieu de lui parler.

Deuxièmement, la Communauté une fois assemblée, Moshé s'emporte : « שִׁמְעוּ-נָא הַמֹּרִים--הֲמִן-הַסֶּלַע הַזֶּה, נוֹצִיא לָכֶם מָיִם - Or, écoutez, ô rebelles ! Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir de l'eau pour vous ? » (Ibid. v.10)

La Torah semble ici témoigner de la colère qui s'est emparée du prince des prophètes, et le terme de « rebelles » (hamorim), que Rashi comprend comme    « ceux qui veulent être les maîtres (morim) de leurs maîtres », est inacceptable de la part d'un dirigeant de la stature de Moshé.

C'est pourquoi le Rambam, fidèle à sa conception du juste milieu en matière de midot (traits de caractère, vertus morales) identifie clairement la faute dont Moshé « s'est rendu coupable, parce que [s'écartant] d'une mida, la mansuétude, il s'est porté vers l'un des extrêmes, vers la colère, lorsqu'il a dit : ''Or, écoutez, ô rebelles !'' Hashem lui a donc sévèrement reproché qu'un homme tel que lui se soit mis en colère en présence de l'assemblée d'Israël [...] Et une conduite pareille, venant d'un tel homme [constituait] une profanation du Nom ('hilloul Hashem), car tous ses mouvements et toutes ses paroles étaient imités. » (Shemona praqim, 4)

Le Rav Élie Munk (1900-1981) confirme que, lorsque les deux frères ont consulté la Présence divine, Celle-ci « leur apparût non seulement pour leur dicter l'attitude à adopter, mais aussi pour qu'ils ne se laissent pas aller à la colère. » C'est que, contrairement à la revendication d'obtenir de la viande, ou aux récriminations qui suivirent le récit des méraglim, la demande des Bnei Yisrael avait ici un fondement légitime : ni homme ni bête ne peuvent vivre sans eau. Le Talmud enseigne que « l'homme n'est jamais châtié pour ce qu'il exprime dans un moment de détresse. » (Baba Bathra 16b)

Moshé n'a donc pas tenu compte de l'instruction reçue dans la Parashat Wa'era au sujet des Bnei Yisrael : « Il leur a ordonné de les conduire avec douceur et de leur témoigner de la patience. » (Rashi sur Shemot 6,13).

Ramban (Rabbi Moshé ben Na'hman,1194-1270) s'oppose résolument à cette interprétation. Il retient la réponse de Rabbi 'Hananel, qui enseigne que Moshé et Aharon n'auraient pas du dire : « nous allons vous faire jaillir de l'eau », mais « Hashem vous fera jaillir de l'eau ». Peut-être la Communauté a-t-elle ainsi attribué aux deux frères le pouvoir de créer une source d'eau, ce qui justifierait l'accusation : « Vous ne M'avez pas sanctifié au milieu des Bnei Yisrael » (Bamidbar 20,12).

Le Or ha'Haïm ha Qadosh (Rabbi 'Haïm Benattar, 1696-1743) adopte le point de vue de Rashi : « Les plus jeunes écoliers savent parfaitement que Moshé a commis une grave faute en frappant le rocher, alors que Hashem lui avait dit : ''Parle au rocher'' »

Le Midrash Tan'houma enseigne que « Moshé devait citer une halakha ou un passage de la Torah devant le rocher. » Dans cette logique, c'est la Torah qui permet à l'homme d'étancher sa soif, et l'interruption de l'étude, comme l'indique le second paragraphe du Shem'a, a pour conséquence l'arrêt de l'eau céleste (Ta'anit 2a).

Rav Shakh (Rabbi Elazar Mena'hem Man Shakh,1899-2001, cité par le Rav Issakhar Rubin) écrit que « nous ne sommes pas en mesure de comprendre en quoi Moshé a failli, et pourquoi il lui a été fait ce reproche, ainsi qu'à Aharon : ''vous n'avez pas cru en Moi.'' (Bamidbar 20,12)

Cette faille est à ce point ténue, poursuit Rav Shakh, que même nos Rishonim, malgré tous leurs efforts [...], n'ont pas réussi à déterminer clairement l'origine [de cette faute]. »

C'est encore plus vrai d'Aharon, qui ne semble avoir été sanctionné qu'en tant que niftal le'ossé 'avera (pour avoir « accompagné ceux qui ont transgressé »). En dépit de l'extrême finesse de la faute de Moshé, Aharon a subi un châtiment pour l'avoir assisté. « L'être humain ne peut comprendre un tel verdict. Seule la Torah peut attester que le comportement d'Aharon [...] n'a pas été ce qu'il aurait dû être ».

« Il est pourtant possible de saisir le fond du problème, enseigne le Rav Shimshon Raphael Hirsch (1808-1888), lorsqu'on songe au rôle qu'a joué le miracle durant l'histoire d'Israël dans le désert »

Pour le Rav Hirsch, le miracle avait pour fonction de mettre en permanence le Klal Yisrael en contact avec le fait divin. Une phase d'apprentissage, indispensable pour ancrer la Émouna, pour graver dans les cœurs une confiance en Hashem dont l'héritage n'est pas épuisé : nous restons à ce jour « croyants, fils de croyants... »

Le risque de cette pédagogie divine, c'était de ne pas laisser de place à la dimension de responsabilité personnelle et collective, par laquelle « le Peuple allait forger son destin », une fois conquise la terre de la promesse. Il allait désormais falloir s'appuyer sur la Parole divine, et apprendre à se passer des miracles qui avaient accompagné sa transmission au Sinaï. En d'autres termes, poursuit le Rav Hirsch « le bâton, symbole du miracle, doit maintenant faire place à la parole. Et c'est là ce que Moshé n'a saisi qu'insuffisamment. Il était trop accoutumé à s'appuyer sur l'intervention directe de Hashem. » Il ne pouvait être le dirigeant du temps où cette intervention allait se faire non pas véritablement plus rare (Hashem continue d'intervenir à chaque instant dans Sa Création), mais moins visible, et faire place à la Torah, à son étude, et à tout le travail d'ordonnancement de sa mise en pratique dans un environnement sevré de miracles.

« Il s'agit donc moins d'une punition que d'une relève, à laquelle Moshé doit consentir. Moshé aura été l'homme de l'Égypte, de la mer des joncs, de Matane Torah, du désert. »

C'est Yehoshua qui sera l'homme de la conquête, de l'établissement de la société juive, de la politique, de l'économie, de la justice, et par conséquent de l'étude de la Torah : « Ce livre de la Torah ne doit pas quitter ta bouche, tu le méditeras jour et nuit afin d'en observer avec soin tout le contenu ; car alors seulement tu prospéreras dans tes voies, alors seulement tu seras heureux. » (Yéhoshoua 1,8)

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