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On peut dire que c'est l'intention de la Guémara dans Arakhin citée plus haut à savoir : « Tous ceux qui prononcent des paroles négatives (Lashone har'a) font monter leur transgression jusque dans les Cieux, comme il est écrit (Tehillim 73:9) : « Leur bouche s'attaque au ciel, leur langue promène ses ravages sur la terre. » C'est-à-dire que, bien que sa langue « se promène » sur la terre, sa bouche se dresse contre le Ciel. C'est aussi ce qu'enseigne le Midrash Tanna débei Eliyahou (Rabbah Zouta 18), où l'on apprend que le lashone har'a qu'il prononce s'élève jusqu'au Trône de gloire. On peut en déduire une certaine idée de l'ampleur des destructions amenées sur Israël par ces « hommes de la langue »
Voici un autre aspect de la gravité de cette faute : lorsqu'un homme infecte sa langue avec des paroles interdites, il empêche toute parole de Qédousha (de sainteté) qui quitterait sa bouche par la suite de s'élever [vers les mondes supérieurs, vers Hashem]. C'est ce qu'enseigne le Zohar haQadosh sur la Parashat Péqoudéi : « Et au-dessus de cet esprit malveillant [suscité par ces paroles de médisance, comme on l'a vu plus haut] il y a foule d'autres incitateurs du Din [c'est-à-dire de la stricte justice et du châtiment] à qui est assignée la tâche de s'emparer de ces expressions de méchanceté et d'infamie qui s'échappent de la bouche d'un homme, et sont suivies par des paroles de sainteté [prières et bénédictions, divréi Torah]. Malheur à eux ! Malheur à leurs vies ! Ces hommes permettent à tous ces incitateurs du Din de l'emporter et d'infecter le lieu de la sainteté. Malheur à eux dans ce monde-ci, et malheur à eux dans le monde à venir. Car ces esprits d'impureté prennent cette expression mauvaise qui provient de sa bouche, et souille l'expression de sainteté qui la suit, de sorte qu'elle ne lui est pas attribuée [ne compte pas du côté des mitsvoth dans la balance de son jugement] et la puissance de la sainteté s'est trouvé pour ainsi dire atténuée. »
N'est-il pas évident de ce Zohar haQadosh que [dans un tel cas] toutes nos paroles de Torah et nos prières restent [comme] suspendues dans l'air, et ne s'élèvent pas vers [les mondes] supérieurs ? Dès lors, comment nous viendraient-elles en aide au temps de Mashia'h ?
Et lorsqu'on approfondit cette question, on voit qu'en plus d'être une grave transgression en soi, elle affaiblit les mondes [supérieurs], elle assombrit et amoindrit leur lumière. C'est en effet l'habitude de bien des hommes de répéter la violation de ce commandement négatif des centaines et des milliers de fois au cours de leur existence. Parce que même une petite faute, lorsqu'elle est répétée de nombreuses fois, devient comme les sangles [épaisses] d'une charrette, ainsi que le le prophète Yéshayahou (Isaïe) nous exhorte : « Malheur à ceux qui tirent le châtiment avec les câbles du mal, et le péché comme avec les traits d'une voiture » (5,18) C'est comparable à un cordon de soie qui est redoublé des centaines de fois. À combien plus forte raison la faute du lashone har'a, qui est extrêmement grave en elle-même, et que tant de personnes tendent à répéter des milliers de fois au cours de leur vie, sans prendre aucunement garde au danger, et combien plus grave l'affaiblissement causé dans les mondes supérieurs.
Et voici ce que j'ai cherché à comprendre : Pourquoi cette mitsva négative (lo ta'assé) a-t-elle ainsi perdu toute signification pour tant d'hommes ? Et j'ai pensé à plusieurs raisons pour lesquelles il doit en être ainsi. Certaines touchent le commun des mortels, d'autres les Talmidéi 'Hakhamim (mot-à-mot « les disciples des Sages », c'est-à-dire les érudits de la Torah)
Les
gens ordinaires ne savent même pas que l'interdiction du lashone
har'a s'applique à ce
qui est vrai [comme à ce qui ne l'est pas - à des paroles de
vérité comme à des paroles mensongères ou trompeuses] ;
Quant aux Talmidéi 'Hakhamim, bien qu'ils sachent pertinemment que
[l'interdiction] s'applique aussi à ce qui est vrai, il arrive
qu'ils soient incités par le yétser har'a (le penchant au mal) de
toutes sortes de manières.
Par exemple, le yetser leur suggère,
en une fraction de seconde, que « c'est une mitsva de dénoncer
les flatteurs et ceux qui se vouent au mal. » (1) Ou encore, le yetser lui dit : « Celui dont tu parles,
n'est-ce pas un semeur de discorde, dont il est permis de parler de
manière négative ? »
(2)
À une autre occasion, il l'entraînera à la faute en évoquant la permission [halakhique] de « apéi télata » [paroles de lashone har'a prononcées en présence de trois personnes] ou de « apéi mara » [le cas ou la personne est convaincue qu'elle parlerait de la même façon en face de celui ou de celle dont il parle]
Dans ces cas, le yetser ne manquera pas de fournir [à ce Talmid 'Hakham, puisqu'il suffira de solliciter sa mémoire] les citations pertinentes (voir plus loin les principes II, III et VIII en temps voulu). Et quelquefois, il suggère que les paroles qu'il veut prononcer n'appartiennent pas à la catégorie du lashone har'a, (par exemple, comme beaucoup ont malheureusement tendance à le faire) dire d'une personne en public qu'elle manque de sagesse (comme on le verra dans les principes III).
En somme, le yetser [pour ce qui concerne le lashone har'a] agit selon deux voies : il cherche d'une part à convaincre la personne que ses paroles ne sont pas du lashone har'a. D'autre part, il tente de démontrer que la Torah n'interdit pas de parler de telle ou telle personne de manière négative.
Et si le yetser voit qu'il ne peut entraîner l'homme à la faute par l'une de ces deux voies, il cherche à le tromper dans le sens inverse, et lui inspire une telle sévérité en matière de médisance qu'il en vient à considérer que tout entre dans la catégorie du lashone har'a ! Au point qu'il finit par croire qu'il est impossible de vivre une vie conforme à une telle contrainte, sinon en se détachant complètement des affaires du monde. C'est le moyen subtil que le serpent primitif utilisa, lorsqu'il parla à 'Hava : « אַף כִּי-אָמַר אֱלֹהִים, לֹא תֹאכְלוּ מִכֹּל עֵץ הַגָּן - Est-il vrai que Éloqim a dit: vous ne mangerez rien de tous les arbres du jardin ? » (3) [alors qu'en réalité, Éloqim avait au contraire permis tous les arbres, à l'exception d'un seul, celui de la connaissance de bien et mal.]
Il faut ajouter à cela que beaucoup de gens ne comprennent pas fondamentalement l'interdiction d'écouter des paroles de lashone har'a, et notamment qu'elle s'applique même au fait d'y croire en son for intérieur [et non seulement au fait de les répéter, bien qu'il soit permis de soupçonner qu'il puisse y avoir quelque chose de vrai, et de prendre les précautions utiles, comme l'enseigne la Guémara.]
Dans la Guémara Nidda 61a, il est question de la valeur (en termes de touma et tahara) d'une recherche de source d'impureté - c'est-à-dire un cadavre ou des ossements humains. La Guémara cite l'exemple d'une grotte dans laquelle on a trouvé une fosse pleine de restes humains, et elle identifie ces morts comme ceux qui ont été tués par Ishmaël ben Nétaniah, celui-là même qui a assassiné Guédalia, désigné par Névoukhadnetsar comme gouverneur de Judée, et qui fait l'objet d'un jeûne, le 3 ou le 4 Tishri, au cours des dix jours de pénitence - Yamim noraïm. Cet épisode est raconté par le prophète Yirmiyahou - Jérémie (41,9) : « Or, la citerne où Ishmaël avait jeté les corps de tous les hommes qu'il avait frappés en même temps que Ghédalia, était celle que le roi 'Asa avait construite [pour se défendre] contre Ba'asa, roi d'Israël; c'est cette citerne qu'Ishmaël ben Netania, remplit de cadavres. » La Guémara comprend « בְּיַד-גְּדַלְיָהוּ , en même temps que Ghédalia » comme si Ghédalia avait été le complice de Ishma'el, et tout naturellement, elle demande : « est-ce que Ghédalia avait tué [ces hommes] ? N'est-ce pas plutôt Ishmael qui les avait tués ? [comme l'indique le verset 2 : « Puis Ishmaël ben Nétania, et les dix hommes qui étaient avec lui se levèrent, frappèrent par le glaive Ghédalia ben Aḥikam, ben Shafan, et le firent périr, lui que le roi de Babylone avait nommé gouverneur du pays. »] Ghédalia, répond la Guémara, aurait dû s'inquiéter et se montrer prudent, après avoir entendu les paroles d'un de ses proches. Les versets de Yirmihahou sont magnifiques (40,13-16) : « Yoḥanan ben Karéaḥ et tous les officiers de troupes qui se tenaient dans les campagnes vinrent trouver Ghédalia à Mitspah, et lui dirent : "Sais-tu que Ba'alis, roi des Ammonites, a chargé Ishmaël ben Netania, de t'assassiner ?" Mais Ghédalia ben Aḥikam, ne les crut point.Même, Yoḥanan ben Karéaḥ, avait dit confidentiellement à Ghédalia, dans la ville deMitspah : "Laisse-moi donc aller moi-même frapper à mort Ishmaël ben Nétania, sans que personne le sache ! Pourquoi te prendrait-il la vie ? Pourquoi permettre, que tous les Judéens, rassemblés autour de toi, se dispersent et que c'en soit fait du reste de Yéhoudah ?" Mais Ghédalia ben Aḥikam répondit à Yoḥanan ben Karéaḥ : "Ne commets pas un pareil acte; car tu accuses faussement Ishmaël." »Ghédalia, poursuit la Guémara, ne s'est pas inquiété, et il refusa d'écouter le conseil de Yoḥanan ben Karéaḥ, car il ne voulait pas entendre des paroles de lashone har'a. Le verset (par l'expression בְּיַד-גְּדַלְיָהוּ) le rend responsable de ces morts, comme s'il les avait tués lui-même !
La Guémara continue : « Rava [précise l'enseignement qu'il faut tirer de cet épisode] quant à ce qui est permis en entendant des paroles de ce genre. Bien qu'on n'ait pas le droit de les « recevoir », c'est-à-dire d'y ajouter foi, on a cependant le devoir de s'inquiéter du mal qui pourrait résulter du fait qu'on les a ignorées.
La Guémara clôt ce thème en donnant un exemple assez poignant de la manière dont un de nos plus grands Sages a mis cette loi en application. « Une rumeur circula au sujet de certains habitants de la Galilée, les accusant d'avoir tué quelqu'un. Ils se présentèrent devant Rabbi Tarfon et lui dirent : ''le Maître acceptera-t-il de nous cacher ?'' Rabbi Tarfon leur répondit : ''Que puis-je faire ? Si je ne vous cache pas, vos poursuivants vous verront et vous tueront. Si je vous cache, c'est également un problème, car les Rabbins ont enseigné : pour ce qui est de l'interdiction d'écouter des paroles malveillantes, bien qu'on ne doive pas y ajouter foi, on est tenu de s'en inquiéter et de se montrer prudent quant au mal qui pourrait résulter de les avoir ignorées. Vous devez donc partir et vous cacher vous-mêmes.'' »
La même chose est vraie dans de nombreux autres exemples en ce qui concerne le fait de prêter l'oreille au lashone har'a et à la rékhilout (colportage) on reviendra sur ces notions.
Enfin, beaucoup de gens ne savent comment on peut faire Téshouva et réparer, lorsqu'on a transgressé ces interdits de dire des paroles négatives, ou de leur prêter l'oreille.
À cause de toutes ces raisons, on en est arrivé à une situation où on n'hésite pas à dire tout ce qui arrive à la bouche, sans considérer un seul instant si ces paroles entrent ou non dans la catégorie de rékhilout ou de lashone har'a. À cause de nos nombreuses fautes, nous nous sommes tellement habitués à ce péché qu'aux yeux de beaucoup de gens, ce n'est plus du tout regardé comme une faute, même si leurs paroles apparaissent incontestablement à chacun comme lashone har'a et rékhilout, comme lorsqu'il parle de son prochain et le dénigre jusqu'à la plus infâme dégradation. Et si on lui demande : « Pourquoi prononces-tu des paroles de lashone har'a et de rékhilout ? » il pensera en lui-même que celui qui le réprimande ainsi le prend pour un tsaddiq ou un 'hassid (« extrémiste »). Il n'accepte pas une telle remontrance, et considère [le lashone har'a et la rékhilout] comme sans aucune gravité.
Et tout cela vient en grande partie du fait que les lois du lashone har'a et de la rékhilout n'ont pas été compilées en un seul lieu, où leur nature et leur application, dans leurs fondements comme en pratique, pourraient être expliquées en détails. Au lieu de quoi elles sont dispersées dans le Talmud et parmi les Rishonim (les décisionnaires médiévaux). Et même le Rambam (4), dans le septième chapitre de Hilkhot Déoth, ou Rabbénou Yonah (5) dans son Shaaré Téshouva, qui ont préparé la voie pour nous dans ce domaine, ont néanmoins été très laconiques, selon la manière des Rishonim [qui sont généralement très synthétiques et brefs, ayant souvent en vue la précision et la clarté, comme le Rambam en donne l'exemple.] Beaucoup de dinim [recommandations halakhiques] ne sont pas mentionnées dans leurs œuvres, comme on le verra plus loin.
Et
que le lecteur mon frère sache que pour le moindre mot qui figure
ici, j'ai indiqué la source dans le Be'er
Mayim Ḥayim (6),
pour qu'il soit clair aux yeux de tous que je n'ai pas écrit ce
livre selon les paramètres de la Ḥassidout, mais selon les
critères du Din (de la loi stricte)
Car le Din
jaillit [de ces sources] Et « tous ceux qui jugent d'après la
balance du mérite, puisse la Source [de la vie] les juger selon la
balance du mérite. » J'ai également écrit une longue
introduction, très développée, qui analyse plusieurs des
commandements positifs et négatifs fréquemment transgressés par
ceux qui ne prennent pas garde à ces fautes amères que sont le
lashone har'a et
la rékhilout.
Que HaShem assure que le yetser sera anéanti, lorsque le
transgresseur réalise la destruction et le désastre dont ses
paroles sont la cause.
On connaît bien par ailleurs ce Midrash qui enseigne : « Si tu as peiné dans les paroles [des Sages], HaQadosh Baroukh Hou retire de toi le yetser har'a. » (7) et je me suis dit à cet égard : Il se peut qu'en étudiant ce livre, qui rassemble les paroles des Rishonim, et propose une réflexion sur le sujet, le yetser har'a ne l'emportera pas sur eux (pour cette faute) » et en même temps, si l'on parvient à s'arracher [à l'emprise] de cette faute, il pourra le faire plus complètement.
Parce que pour cette faute, l'habitude joue un rôle très important, « Celui qui vient pour se purifier lui-même [reçoit] une assistance [du Ciel]. » (8) Par ce mérite, puisse le Rédempteur arriver, bientôt et de nos jours, comme il est écrit : « וּבָ֤א לְצִיּוֹן֙ גּוֹאֵ֔ל וּלְשָׁבֵ֥י פֶ֖שַׁע בְּיַֽעֲקֹ֑ב נְאֻ֖ם יְהֹוָֽה׃ - Mais il viendra en rédempteur pour Sion et pour les pécheurs repentants de Ya'aqov; telle est la promesse de HaShem. » (9) Amen !
Mis en ligne le 23 Shevat 5782 (25 janvier 2022)

1 Voir par exemple Téhilim 12, 3-5 : « On se parle avec fausseté l'un à l'autre, on parle d'une langue mielleuse [flatteuse], d'un cœur plein de duplicité. Que HaShem supprime toutes les langues mielleuses, les lèvres qui s'expriment avec arrogance, ceux qui disent: "Par notre langue nous triomphons, nos lèvres sont notre force: qui serait notre maître ?" » et d'autres versets notamment de Mishléi - Proverbes.
2 Voir Mishléi - Proverbes 6,16-19 : « Il est six choses que HaShem déteste et sept qu'il a en horreur : les yeux hautains, la langue mensongère, les mains qui répandent le sang innocent ; le cœur qui ourdit des desseins pervers, les pieds impatients de courir au mal, le faux témoin qui exhale le mensonge, enfin l'homme qui déchaîne la discorde entre frères. »
3 Béréshit - Genèse 3,1.
4 Rabbi Moché ben Maïmon, dit Maïmonide, 1138-1204, auteur du Mishné Torah, compilation systématique des lois de la Torah.
5 Rabbi Yonah ben Abraham Gerondi (mort en 1263)
6 Commentaire de la Torah de Rabbi Ḥaim de Tshernowitz (1760-1816), un classique de la littérature ḥassidique.
7 Midrash Rabbah 14:4
8 Yoma 38b
9 Yéshayahou - Isaïe 50,29. Ce verset est répété à plusieurs reprises au cours des prières quotidiennes.