Huitième principe (3)

Huitième principe : huitième section (1)
Sache aussi que certains disent (2) qu'il est permis de dire des paroles de lashone har'a à l'encontre de personnes querelleuses (3). Cette permission ne s'applique que si, en révélant à l'une des parties la tromperie [dont il risque d'être victime], [l'adversaire] verra que le droit n'est pas de son côté, et il sera mis fin à la querelle.
Mais si tel n'est pas le cas, il n'y a pas de différence [avec les règles qui interdisent le lashone har'a]. En outre, les conditions suivantes sont également nécessaires [pour que le héter s'applique] :
a) Les éléments qui permettent d'établir que des personnes sont bien des « ba'aléi hamaḥloqet » doivent être connus de la personne, et non fondées sur ce qu'il a entendu d'un tiers, à moins qu'elle n'ait la certitude que la chose est vraie.
b) Son intention doit être d'obtenir le bénéfice attendu, et non la haine [qu'il éprouverait à l'égard de son prochain].
c) S'il est possible de faire taire la querelle de quelque autre manière, sans avoir à dénigrer personne, comme par la remontrance ou des moyens semblables, il est interdit de proférer des paroles de lashone har'a à l'encontre [de ces adversaires], à moins qu'il ne craigne de les réprimander, de peur que, lorsque ces « ba'aléi hamaḥloqet » s'apercevront qu'il n'est pas de leur côté, ils discréditent son opinion, au point qu'il n'aura plus aucun moyen d'arbitrer l'affaire (4). Quoi qu'il en soit, en pareil cas, on doit agir avec la plus grande prudence, et ne pas se hâter de désigner l'une des parties comme « ba'aléi hamaḥloqet ». On doit décider avec circonspection, selon [les règles de] la Torah, de qui sont les « hommes de querelle ». Et si l'on ne peut en juger, « reste assis et n'agis pas » sera la meilleure voie.
Huitième principe : neuvième section
Sache encore qu'il est interdit de faire honte aux défunts et de les insulter. Les Poskim ont écrit qu'il est strictement défendu par nos anciens Maîtres de diffamer ou de répandre des bruits malveillants au sujet de personnes décédées. C'est vrai même si le défunt était un 'am haarets (un ignorant). À plus forte raison sa faute est-elle d'une très grande gravité, passible d'exclusion (5), s'il s'agit d'un Talmid Ḥakham décédé (6).
L'interdit d'humilier un Talmid Ḥakham s'applique si l'on s'en prend à sa personne. À plus forte raison si l'on dénigre ses enseignements de Torah !
Huitième principe : dixième section
On va expliquer à présent la question de savoir devant qui il est défendu de prononcer des paroles de lashone har'a. Qu'on parle devant autrui, devant [des personnes] proches ou sans [relation familiale], devant son épouse, cela ne fait aucune différence, à moins qu'il n'y ait un intérêt futur en jeu. Par exemple si elle fait crédit à de mauvaises personnes, de qui il sera difficile d'obtenir un remboursement ultérieur. Il pourra lui dire qu'il s'agit d'un personnage indigne de confiance, et la dissuader de prêter.
La même règle s'applique s'il s'agit d'un partenaire, à qui il peut dire que telle personne, à son avis, n'est pas digne de confiance, et ainsi de suite, comme il est enseigné au traité Qiddoushine : « Ne permettez pas aux disciples de Rabbi Méir d'entrer ici, car ils sont querelleurs (7) ! »
Dans ce cas, même s'il ne connaît pas par lui-même le caractère tortueux de ces personnes, mais en a seulement entendu parler, il lui est également permis de la mettre en garde, bien qu'il n'ait pas lui-même le droit d'ajouter foi à ce qu'il a entendu d'eux (8). Quoi qu'il en soit, il a le devoir de soupçonner [que les informations dont il dispose sur ces personnes sont véridiques.] Dans ce cas cependant, il ne doit pas lui parler d'une manière qui laisse à penser qu'il croit à ce qu'il a entendu. Il doit simplement lui dire : « J'ai entendu telle et telle chose au sujet de cet homme. Tu devrais veiller à ne pas lui accorder de crédit. » Hormis cette circonstance, il n'y a aucune différence entre [entre son épouse et toute autre personne]. Nombreux ceux qui se trompent à cet égard, et racontent à leurs femmes tout ce qui leur est arrivé avec tel homme, au Beth haMidrash ou au marché de la ville. Outre l'interdit du lashone har'a, il alimente aussi les querelles dans la Communauté. Elle risque de concevoir de la haine pour cet homme et pour ses proches. Elle en viendra à inciter son mari à se quereller avec cette personne, et elle-même lui fera honte. C'est pourquoi l'homme prudent se gardera de révéler ces choses à sa femme.
Mis en ligne le 28 Ḥeshvan 5783 (22 novembre 2022)
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Ci-contre : Juifs de Varsovie (circa 1935)
1 Dans cette section difficile à comprendre, il faut avoir à l'esprit que le Ḥafets Ḥayim se place dans la position d'un tiers dans une querelle opposant deux Juifs (ou davantage). Il ne s'agit pas nécessairement d'un juge, mais simplement d'une personne intéressée à un titre ou à un autre.
2 « יֵּשׁ אוֹמְרִים », formule utilisée très couramment dans le Talmud et la littérature rabbinique pour évoquer une opinion sans auteur identifié a priori, et qu'on traduit par « certains disent ».
3 En hébreu : בַּעֲלֵי הַמַּחֲלֹקֶת - littéralement les « maîtres de la controverse ». L'expression est difficile à traduire. Elle évoque des personnes qui déclenchent et entretiennent de vaines querelles, en vue ou non d'un bénéfice.
4 Il semble bien qu'ici, le Ḥafets Ḥayim fait allusion à un juge, ou du moins à une personne qui est en position de trancher un litige.
5 נִדּוּי - Exclusion, bannissement, excommunication. La personne est écartée des activités de la Communauté (on ne l'invite plus à monter à la Torah, ni aucun des honneurs auxquels les fidèles ont habituellement accès.
6 Yoreh Deah 243:7
7 Qiddoushine 52b : « Après la mort de Rabbi Méir, Rabbi Yéhoshouah dit à ses élèves : Ne permettez pas aux disciples de Rabbi Méir d'entrer ici, car ils sont querelleurs [kanteranim]. Et ils ne viennent pas pour étudier la Torah, mais il viennent pour me noyer sous les halakhot [inutiles ou erronées] »
8 Voir préface (15) et 4,12 l'épisode rapporté par la Guémara (Nidda 61a) au sujet de Ghédalia : si l'on entend des paroles au sujet d'une personne qui pourrait nous nuire ou nuire à autrui de quelque manière, on n'a pas le droit de croire que ces paroles soient vraies, mais on a le droit (et même le devoir) de prendre les précautions qui s'imposent pour le cas où elles le seraient.
