Dixième principe (3)
Dixième principe : septième section
Nous allons à présent expliquer la troisième condition mentionnée plus haut (1), à savoir qu'on doit en premier lieu réprimander [le coupable]. Cette condition s'applique en règle générale. Néanmoins, si l'on sait qu'il n'est pas homme à se corriger ni à accepter la réprimande, on n'est pas obligé de faire cette remontrance. Mais on sera attentif à raconter [ce dont on a été témoin] en présence de trois personnes. Quelle en est la raison ? Si l'on ne parle que devant une ou deux personnes, il pourra sembler qu'on ne souhaite pas que son récit parvienne aux oreilles de la personne incriminée, et qu'on ne cherche qu'à le flatter ou le tromper. C'est pour cela qu'on l'accuse « en secret » (2). Il apparaît aussi qu'on prend plaisir à dire des paroles de lashone har'a contre son prochain.
Il y a une autre raison : [ses interlocuteurs] en viendront à le soupçonner, et à dire que la chose [c'est-à-dire l'accusation qu'on porte] n'est sûrement pas vraie, et qu'on a tout inventé, puisqu'on aurait dû en parler en premier lieu à la personne concernée. Dans ces conditions, le fait de parler à ces personnes ne permettra pas d'obtenir les bienfaits décrits à la section quatre.
Par conséquent, la chose doit être exposée en public, c'est-à-dire devant trois personnes. Ainsi, tout se passe comme si l'on avait voulu dire la chose devant lui [la personne accusée], et on ne pourra plus le soupçonner. Il est rare en effet qu'une personne « cachère » affirme en public une chose complètement fausse. Et notez qu'à ce moment, il n'est pas permis aux auditeurs de croire à ses paroles, en sorte que dans leurs cœurs la personne accusée soit diminuée, comme on l'a expliqué (3), parce que même si l'histoire n'est pas complètement fausse, il se peut qu'il manque un simple détail qui peut modifier le tableau du tout au tout - c'est pourquoi il est interdit de la croire vraie ! (4). Malgré cela, il est utile qu'ils l'entendent, dans l'intention suivante : ils se renseigneront, pour savoir si l'histoire est vraie, et [le cas échéant], réprimander l'homme dont on a dit tant de mauvaises choses. Il acceptera peut-être leurs paroles (et les bienfaits mentionnés à la section quatre se réaliseront également.)
Dixième principe : huitième section
Ces règles s'appliquent lorsqu'on n'a pas lieu de craindre la personne dont on parle. Mais si l'on [a un motif] de crainte, car il est en son pouvoir de nuire, il est possible de se montrer indulgent, et qu'on lui permette de relater le tort que [cette personne] a causé à son prochain, même si c'est en présence de moins de trois personnes.
Dixième principe : neuvième section
S'il est connu de tous que celui qui parle [ainsi] ne craint aucun homme, que tout ce qu'il dirait en l'absence de son prochain, il le dirait sans crainte en face de lui, et qu'il est connu comme un homme qui dit la vérité, il lui est permis de parler du tort que [la personne en cause] a fait à son prochain, même si ce n'est pas en présence de trois personnes. Ceux qui l'entendent, en effet, ne soupçonneront pas un tel homme de vouloir flatter ou mentir. Mais ils [comprendront que] son seul motif est le zèle pour la vérité, le souci de venir en aide à celui qui a été victime d'un dommage, et la condamnation publique de mauvaises actions.
Dans ce cas cependant, et pour tout ce que nous avons écrit dans la huitième section, il faudra prendre grand soin qu'aucune des conditions mentionnées au début de la section ne manque à l'appel, puisque nous n'avons omis que la condition : devant trois personnes.
Dixième principe : dixième section
Sache encore que le din, quant au fait de proférer des paroles de lashone har'a est le même, qu'il s'agisse de fautes « d'un homme envers son prochain » ou « d'un homme envers son Créateur », à cette exception près que dans le cas « d'un homme envers son Créateur », il est interdit de parler [de manière négative] de lui (5), même si toutes les conditions mentionnées en section deux étaient réunies, et à moins qu'on ne l'ait vu répéter volontairement cette faute (6), dont il est connu de tous qu'il s'agit d'un [acte] interdit (7).
Dixième principe : onzième section
Un homme doit veiller bien plus encore à ne pas se permettre de raconter à autrui qu'il était en affaires avec untel ou untel, et que celui-ci l'a volé ou lui a causé du tort de telle et telle manière, ou bien qu'il l'a insulté, vexé ou humilié, ou toute chose semblable (8). Il [est interdit de rapporter ces choses] même s'il sait en son for intérieur qu'il n'altère aucunement la vérité dans ses paroles. [C'est interdit] même si toutes les conditions mentionnées plus haut pour ce héter sont réunies. Car il est évident que son intention, au moment où il parle, n'est pas [de rechercher] un bienfait, c'est-à-dire de rendre publique la faute de son prochain, pour que la honte soit sur les malfaiteurs aux yeux des hommes, et que leurs mauvaises voies ne soient pas suivies, ou bien que [le coupable] voie combien il est méprisé par les hommes, de sorte qu'il fera Téshouva et reviendra de ses fautes.
Son but est uniquement de faire honte à son prochain aux yeux des gens, de faire de lui un objet de mépris ; pour avoir « porté atteinte » à son argent ou à son honneur. Et plus il voit qu'on écoute ses paroles, et que [la personne qu'il accuse] devient pour eux un objet d'aversion, plus il se réjouit et trouve plaisir à la situation.
Dixième principe : douzième section
Il est encore plus interdit [de rapporter de telles choses] si [la personne accusée] ne lui a pas [activement] causé du tort, mais a seulement refusé de lui accorder un bienfait que [selon lui], il aurait dû lui consentir, sous forme de prêt, de Tsédaqa, d'hospitalité ou autres choses de ce genre.
S'il va raconter cela à d'autres, pour dénigrer cet homme, c'est sans aucun doute du lashone har'a selon le din, comme on l'a écrit plus haut (9). Il transgresse ainsi plusieurs commandements négatifs, en plus de l'interdit du lashone har'a, comme on l'a expliqué (10). Du fait de nos nombreuses fautes, beaucoup de gens trébuchent à cet égard, comme on le voit couramment, lorsqu'une personne n'est pas accueillie comme elle aimerait l'être dans une ville, et qu'elle se rend ensuite dans une autre ville, elle s'emploie à dénigrer les notables de la ville précédente, parce qu'ils ne l'ont pas aidée dans ses affaires. C'est pire encore si elle s'en prend à la ville toute entière. Car l'interdit du lashone har'a, même si [les paroles prononcées] sont vraies (11), s'applique comme on l'a écrit plus haut, lorsque l'on parle d'une seule personne. C'est encore bien pire s'il parle contre une ville entière en Israël, fervente dans sa foi en HaShem.

Mis en ligne le 3 Shevat 5783
(24 janvier 2023)
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2 Puisqu'on a pour principe que la chose dite devant moins de trois personnes ne deviendra pas nécessairement de notoriété publique. Parler devant une ou deux personnes équivaut donc à « parler en secret. »
3 Supra 7,1.
4 Le Ḥafets Ḥayim donne ici pour la première fois une explication de l'interdiction d'ajouter foi (d'être « mékabel ») aux paroles de lashone har'a. Puisqu'il est difficile de faire un rapport fidèle, et conforme à la halakha d'une mauvaise action dont on a été le témoin, il est raisonnable de penser qu'un détail a pu échapper, ou qu'un élément du récit a été (même légèrement) déformé. Ces détails sont susceptibles de modifier, peut-être radicalement, le jugement qu'on doit porter sur les faits ou sur les personnes impliquées. Dans ces conditions, il est préférable, jusqu'à vérification, de ne pas croire l'histoire qui nous est racontée.
5 La personne concernée par cette faute, ou ce manquement dans le service divin (voir chapitre 4 section 2).
6 Faute qui ne concerne que la 'Avodat HaShem (le Service divin), et qui n'a pas été l'occasion d'un dommage causé à autrui.
7 Voir chapitre 4 section 7 où tous les détails sont expliqués.
8 Il faut sûrement comprendre dans cette section qu'on parle d'une affaire réglée par une transaction, ou tranchée par un Beth-Din, ou encore qui ne trouvera sûrement pas de solution, de sorte qu'on ne peut attendre quoi que ce soit d'utile du fait d'en parler à autrui. Dans une telle situation, le seul but de la personne ne peut être que de dénigrer son prochain.
9 V. chapitre 5, section 1.
10 Ibid.
11 Cette précision est un peu surprenante, puisqu'on n'a cessé d'apprendre que les paroles de lashone har'a sont vraies par définition. Si elles étaient mensongères, elles appartiendraient à la catégorie de « motsi shem r'a » (la calomnie), une faute beaucoup plus grave. Peut-être le Ḥafets Ḥayim fait-il référence non au mensonge pur et simple, mais aux détails omis, ajouté ou déformés qui invalident un témoignage, même lorsque les faits sont par ailleurs fidèlement rapportés (voir section 11, note 4.).
