Cinquième principe (2)
Cinquième principe : deuxième section
Jusqu'ici, nous avons abordé de nombreux domaines des interdictions touchant la parole, dont le din peut se modifier selon les circonstances (c'est-à-dire du permis à l'interdit [ou l'inverse]). Nous allons à présent aborder la plus grande partie de ces cas où il n'y a rien à dire en faveur de celui qui parle, dès lors qu'il n'attend aucun profit personnel, sinon [le « plaisir »] de dénigrer son prochain par des paroles. L'écueil est très répandu, et nombreux sont ceux qui y trébuchent, uniquement à cause du manque de connaissance.
Je demande donc au lecteur de ne pas s'étonner si je m'étends longuement sur [la question] et si j'entre très explicitement dans tous les détails. C'est que j'espère et je pense que HaShem permettra ainsi qu'un grand piège soit retiré [de la voie des humains.]
Pour commencer, il faut dire qu'il est interdit de faire honte à son prochain à cause d'une insuffisance qui le caractérise, en sagesse, en force, en richesse etc. [Par exemple, au sujet de la] « sagesse » (חכמה) : dire que Untel n'est pas un sage. Il n'y a ici aucune différence à faire pour le cas où la chose est fausse, ou en partie vraie et qu'il en exagère le caractère, c'est certainement une faute très grave dans la catégorie de « répandre une mauvaise réputation », puisqu'il dénigre son prochain par des mensonges. Mais même s'il ne dit que la stricte vérité, tous les Rishonim (1) ne nous ont-ils pas enseigné que le lashone har'a [est interdit] même si [les paroles prononcées sont] vraies ? (2)
Et le fait de dénier à autrui la possession d'une certaine qualité entre certainement dans la catégorie du lashone har'a. Le Rambam écrit ainsi : « Le lashone har'a consiste à rapporter les défauts et les insuffisances de son prochain, et à dénigrer un Juif de toutes les manières, même si la personne qu'il dénigre est [véritablement] insuffisante... » (3)
Comme le Rambam l'explique, cela s'appelle lashone har'a dans la mesure où c'est la vérité.
[Voici ce qu'écrit le Rambam, dans son Mishnéh Torah :
Que les paroles médisantes aient été prononcées en présence de son prochain ou en son absence, ou bien répandues de bouche à oreille (4), et qu'elles entraînent un préjudice pour son prochain, pour son corps ou ses biens, et qu'elles soient pour lui une cause d'angoisse (5), ou de détresse, voilà l'iniquité d'une langue malveillante. Si de telles [paroles négatives] sont proférées en présence de trois personnes, la chose est considérée comme publique. Si l'une des trois personnes la répète, aucune faute de lashone har'a ne lui sera imputée, à la condition que ce faisant, il n'ait pas l'intention de répandre la rumeur, et de la faire connaître encore davantage. » (6)]
Les paroles de lashone ha r'a, quand elles sont connues des gens, [peuvent donc être] la cause de dommages pour le corps, pour les biens, ou sont une cause de souffrance psychologique. Il apparaît donc clairement que nier qu'une personne possède une certaine distinction est incontestablement du lashone har'a selon la Torah. Car en y réfléchissant, on comprend que de telles paroles] peuvent causer des pertes financières, [mais aussi] de la détresse, et du désarroi.
On expliquera en premier lieu le cas de celui qui dit que Untel n'est pas un sage. En vérité, on ne peut imaginer un reproche plus grave que celui-là. S'il n'est pas encore marié, et que [ces paroles] viennent aux oreilles du public, on ne trouvera personne qui veuille se fiancer avec lui. S'il a un métier, quel qu'il soit, artisan ou professeur, qui voudrait faire affaire avec lui ? C'est particulièrement vrai s'il enseigne la Torah en Israël (7), et qu'on se permette de dire à son sujet qu'il n'est pas un sage, il y aurait là tout d'abord [la transgression de] l'interdit du lashone har'a selon la Torah (puisqu'il est certain que si les gens ajoutaient foi à ces paroles (8), il en résulterait une perte financière, car personne ne voudrait se présenter devant lui pour un Din Torah (9) ou un jugement de compromis (10).)
Mais en outre, quelque chose de plus grave encore pourrait advenir. Dénigré vis-à-vis des hommes de sa ville, il pourrait finalement perdre sa place, et son sang et le sang de ses enfants sont « sur la tête » (11) du médisant, car par ce lashone har'a, il s'en est pris aux moyens d'existence même de [sa victime]. Plus encore, il souille gravement l'honneur de la Torah et de ceux qui l'étudient. On l'appelle « celui qui fait honte à un érudit de la Torah » (12), dont Ḥazal ont dit : « il n'y a pas de remède à sa blessure. » (13) À cause de ces paroles, il se peut que l'accomplissement de la Torah connaisse un déclin, car si le Rav [qui a fait l'objet de cette médisance] exhorte ensuite [les fidèles] à l'accomplissement de telle ou telle mitsva de la Torah, ils ne prêteront aucune attention à ses paroles, sa réputation d'homme sans sagesse ayant été répandue par ces calomniateurs !
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1 Décisionnaires du moyen-âge.
2 V. Premier principe.
3 Rambam, commentaire sur Pirké Avoth, 1,17.
4 Littéralement : « d'un homme la bouche d'un homme ».
5 « וַאֲפִלּוּ לְהָצֵר לוֹ », de la racine « tsar », étroitesse,(qui a donné le yiddish « tsourès ») et qui connote, en termes modernes, la souffrance psychologique, l'anxiété, l'angoisse, la dépression.
6 Rambam, Hilkhot Déoth 7,5.
7 Notamment s'il est un « possek halakha », un maître capable d'apporter des réponses halakhiques aux situations de son époque (comme l'était le Ḥafets Ḥayim lui-même.)
8 Ce que, rappelons-le, ils n'ont pas le droit de faire.
9 Arbitrage d'un différend d'ordre civil selon la Halakha ou décision concernant une question halakhique.
10 « פְשָׁרָה - Péshara ».
11 En d'autres termes, il (l'homme qui a médit) s'est rendu responsable du sort défavorable qui risque de leur échoir.
12 « מְבַזֶּה תַּלְמִיד חָכָם »
13 « אֵין לוֹ רְפוּאָה לְמַכָּתוֹ » ; Shabbat 119b ; Shaaréi Téshouvah 4,19 (entre autres occurrences)
