Chapitre 9 (7 à 13)

Neuvième principe : septième section
De la même manière, il n'est pas permis de révéler que Ploni l'a volé ou lui a causé du tort, ou quelque autre chose du même genre, à moins que les conditions mentionnées plus haut (1) ne soient réunies, qu'on ait d'abord réprimandé [le voleur...] et que la réprimande n'ait pas été acceptée. À défaut, c'est interdit (2). Et qu'on prenne bien garde en la matière de ne pas s'accorder une autorisation immédiate, sans avoir pris, avant toute chose, le temps de la réflexion sur les conditions à satisfaire. Sans cela, on a toute chance de transgresser le commandement négatif absolu de rékhilout !
Neuvième principe : huitième section
Sache que pour ce qui est de ce principe, que son prochain lui ait demandé de raconter, ou qu'il en ait parlé de lui-même, cela ne fait aucune différence. Car si les conditions sont réunies, il doit lui parler, même s'il n'a rien demandé. Si ce n'est pas le cas, c'est absolument interdit.
Neuvième principe : neuvième section
Sache encore qu'il faut être attentif à tous les détails de ce principe, même si l'on ne veut en parler qu'à d'autres personnes. Cela aussi, c'est de la rékhilout, comme on l'a vu plus haut (3).
Neuvième principe : dixième section
Comme
en la matière, il est très facile de se laisser aller à la
rékhilout, on illustrera de plusieurs exemples détaillés, en sorte
que le lecteur intelligent fasse les parallèles avec toute situation
semblable. Mais pour ne pas fatiguer trop longuement le lecteur, je
ne donnerai ici qu'un seul exemple, et si c'est la Volonté de D.,
j'en ajouterai d'autres à la fin de l'ouvrage (4).
Si
l'on voit qu'une personne veut entrer dans un magasin pour y acheter
quelque chose, et on sait que c'est quelqu'un d'un peu naïf. On
sait aussi que le commerçant est un homme qui n'a pour souci que de
piéger une telle personne et de la tromper, soit [en matière de]
poids et mesures, soit dans la négociation, on doit le lui dire, et
l'avertir de ne pas entrer, même si elle s'est déjà mise d'accord
avec le commerçant pour acheter chez lui. C'est encore plus vrai si
l'on constate que que le commerçant veut le tromper sur la
marchandise (c'est-à-dire le convaincre qu'il achète la meilleure
qualité, alors qu'il sait que c'est faux), ou quant aux poids et
mesures, ou quant au prix de vente. [En pareil cas], il doit
certainement lui en parler, afin qu'on ne puisse pas le tromper. Mais
il faut s'assurer que les conditions indiquées en section deux sont
bien réunies.
Neuvième principe : onzième section
Tout cela, dans la mesure où il cherche à avertir [son prochain du risque] d'être victime d'une tromperie. Mais s'il a déjà acheté une marchandise de quelqu'un, et qu'il sait qu'il a été trompé sur le prix ou un autre aspect [de la transaction], le din en la matière dépend des conditions suivantes : si selon la Halakha, il n'a pas de moyen de contestation vis-à-vis du commerçant (comme lorsque le dépassement du prix n'excède pas un sixième, ou que le délai pour montrer la marchandises à un marchand ou à un proche est dépassé, ou pour toute autre raison qui lui impose de subir sa perte (5)), il est certain que si l'on vient révéler à la victime de quelle manière Ploni l'a trompée, on transgresse le issour de rékhilout. En effet, d'après le din de la Torah, il n'a plus aucun moyen d'obtenir l'annulation de la vente. Ces paroles sont vaines, et celui qui les profère est comme le légendaire colporteur, qui passe [sa marchandise] de l'un à l'autre. Même si la victime le lui demande, il ne doit pas lui dire la vérité. C'est encore plus vrai s'il a des raisons de penser que, du fait de ses paroles, le commerçant risque de subir une perte, comme d'être inquiété [par les autorités], ou de n'être pas payé de ce qu'on lui doit encore sur cette transaction. Celui qui révélerait une chose pareille serait certainement gravement fautif.
En revanche, si [la victime] a le din pour elle, et qu'elle peut se rétracter ou réclamer l'excédent du prix, ou qu'elle n'aurait pas donné son accord pour une telle transaction, on doit lui dire la vérité telle qu'elle est, de sorte qu'il puisse récupérer son argent auprès du marchand.
On doit toutefois être attentif aux conditions suivantes :
Neuvième principe : douzième section
a) On ne doit en exagérer la tromperie ou la perte, au delà de ce qu'elle est.
b) Son intention essentielle doit être le souci de la vérité, et l'aide qu'il peut apporter à celui qui a été trompé. Il ne doit [donc] pas se réjouir de la honte subie par [le commerçant] indélicat, même s'il sait parfaitement [qu'il a cherché à le] tromper. Et il faut ici ajouter un détail presque aussi important. Pour pouvoir révéler la chose, on doit avoir des raisons de penser qu'un bienfait va s'ensuivre, par opposition au cas où l'on sait que la victime n'est pas homme à s'indigner, à s'empresser de juger, à demander à d'autres de l'aide, mais qu'elle va plutôt se contenter de ruminer cette histoire, et de nourrir une haine du commerçant malhonnête.
[En pareil cas,] il ne faut rien lui dire. Plus encore, s'il lui demande de parler, dans ce cas et dans le précédent (c'est-à-dire celui où, selon la Halakha, il n'est plus possible d'annuler la transaction) c'est une mitsva de le complimenter pour son achat. Ce faisant, il ne transgressera pas l'interdiction du verset : « Fuis la parole de mensonge (6) » car nos Maîtres de mémoire bénie ont enseigné : « Si quelqu'un a fait un achat de faible qualité sur le marché, on doit le valoriser à ses yeux. » (7)
c)
Si l'on sent que des paroles de réprimande seront entendues, [en
sorte] qu'il rendra [la somme en] excédent, il doit le faire en
privé, et sans rien révéler à l'acheteur.
d) S'il peut obtenir
le bienfait [attendu] par d'autres moyens, par lesquels il n'aura pas
besoin de dénigrer qui que ce soit, il ne doit rien révéler.
e) La personne à qui l'on s'adresse (la victime) ne doit avoir elle-même l'habitude de colporter des ragots. Si l'on sait que cette personne souffre de ce détestable trait de caractère, et que probablement, il ira dire au commerçant : Ploni m'a dit que cette marchandise est défectueuse, ou qu'elle n'a pas la valeur de ce qu'il a payé, il faut examiner s'il est permis de dire la vérité à une telle personne. On risque en effet de le faire trébucher sur l'interdit de rékhilout.
En tout état de cause, il semble que s'il pense qu'il ne révélera pas son nom, il doit lui parler.
Neuvième principe : treizième section
Tout ce que nous avons dit s'applique si l'on connaît la nature de la personne, telle que si elle apprend la vérité sur la tromperie dont elle a été victime, elle n'entreprendra rien par elle-même, mais appellera [le commerçant] devant le Beth-Din, et suivra les préceptes de la Torah. Mais si l'on sait que c'est une personne qui, ayant appris la vérité, se fera justice lui-même, se saisira du marchand, lui rendra sa marchandise, refusera de payer ce qu'il doit sans le jugement du Beth-Din, alors, avant de lui révéler [quoi que ce soit] il faudra tenir compte de trois [nouvelles] conditions, pour se garder de proférer des paroles interdites :
a)
Il faudra deux personnes [pour faire cette révélation]
b) La
tromperie doit être connue de ces deux personnes elles-mêmes, et
non qu'elles aient entendu de la bouche de tiers qu'ici la tromperie
est courante. Si ce n'est pas le cas, il leur est interdit de
parler. (8)
c)
Le tort causé au marchand par leurs paroles ne doit pas être plus
grave que le jugement prononcé par le Beth-Din sur la base de leur
témoignage. Mais si le caractère de la personne trompée est tel
qu'il causera un plus grand dommage que la décision du tribunal, et
qu'il ne se pliera pas au jugement prononcé par le Beth-Din, alors
on ne doit pas lui en parler.
Avec les cinq premières conditions, on arrive à huit conditions en tout.
Même si elles étaient toutes réunies, on ne fait qu'éviter pour soi-même la faute des paroles interdites. Mais en tout état de cause, on n'échappe pas à l'interdiction de se rendre complice d'une transgression. Selon le din en effet, il est interdit à celui qui entend ces paroles d'entreprendre quoi que ce soit sur cette base, même si de nombreuses personnes lui disent [la même chose], tant qu'elles n'ont pas témoigné contre lui devant un Beth-Din, qui lui aura permis d'agir (9).
On doit donc être extrêmement attentif à ne rien dire à une personne dont le caractère est de « se faire justice » sans la permission du Beth-Din.
Vois, mon frère, comment du fait de nos nombreuses fautes, tant de gens trébuchent dans ce domaine. Quand on prend une marchandise dans un commerce, qu'on l'acquiert selon le din par Méshikha (10), qu'on la montre à un ami, pour lui demander si elle vaut bien le prix qu'on l'a payée, non seulement il ne le complimente pas, mais il dénigre [son achat] en disant : « Il a vraiment abusé de toi ! » Il ne prête pas attention à l'heure, pour savoir quel est le prix courant du marché, car très souvent les prix peuvent changer en peu de temps. Il ne prend pas [soin d'évaluer] de combien était l'excédent de prix, pour savoir s'il est acceptable ou non d'après la Torah. Il n'est pas non plus attentif au moment où il a demandé un prix excessif. Il se peut que le délai pour montrer [la marchandise] à un commerçant ou à un ami soit dépassé, de sorte qu'aucune réclamation ne pourrait aboutir. Il ne ferait qu'inoculer à l'acheteur une haine destructrice contre le vendeur, et ne serait ainsi qu'un « colporteur de ragots », répandant des paroles de l'un à l'autre.
Dans beaucoup de cas, il déversera sa haine en paroles, pour apprendre qu'en réalité, il a payé le juste prix de sa marchandise. Bien souvent, le vendeur subira une grande perte. On incite [l'acheteur] en disant : « Va rendre sa marchandise, et la lui jeter au visage. Et si tu as honte de le faire toi-même, envoie quelqu'un d'autre. Et s'il ne veut pas la reprendre, ne paie pas ce que tu lui dois pour cette marchandise, ou [ce que tu lui dois de transactions] antérieures ! » (le plus souvent, c'est contraire au din, et cela s'appelle vol et extorsion.) Et lorsqu'il ramène sa marchandise au vendeur, qui refuse de la reprendre parce que, d'après la Halakha, il subit une perte, ils en viendront à se quereller et à s'insulter durement.
Vois combien de fautes ce médisant a commises : il a transgressé le commandement négatif : « לֹא-תֵלֵךְ רָכִיל בְּעַמֶּיךָ – Tu n'iras pas colportant [des racontars] parmi ton peuple. (11) » (s'il ne prête pas attention aux conditions mentionnées plus haut.) Il a transgressé [aussi] « וְלִפְנֵי עִוֵּר, לֹא תִתֵּן מִכְשֹׁל – Devant un aveugle tu ne mettras pas d'obstacle » (12) en conseillant à son frère de rendre illégalement la marchandise, ou en causant d'autres pertes, ou en allumant des querelles qui conduisent à transgresser le verset : « וְלֹא תוֹנוּ אִישׁ אֶת-עֲמִיתוֹ – Et vous ne léserez pas, un homme son semblable (13) », et à [la transgression] de beaucoup d'autres commandements négatifs liés à la querelle, que D.ieu nous en préserve.
S'il en est ainsi, on doit d'autant plus avoir soin de ne pas intervenir dans de telles affaires sans avoir mûrement réfléchi à ce que nous avons écrit plus haut. Alors HaShem sera avec lui, de sorte que rien de mauvais ne résultera du conseil [qu'il aura donné.]
Mis en ligne le 17 Sivan 5783 (6 juin 2023)
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1 1ère partie 10,2 ; 2ème partie 9,2.
3 Ibid. 3,3.
4 Voir dernière partie de l'ouvrage, consacrée à des exemples.
5 Les conditions permettant l'annulation d'une vente sont discutées notamment dans le traité Baba Metsia 50a-b.
6 Shémot – Exode 23,7 : « מִדְּבַר-שֶׁקֶר, תִּרְחָק »
7 Le Talmud (Kétouvot 17a) parle ici de l'éloge qu'on doit faire de l'épousée lors du mariage, pour accomplir la mitsva de « réjouir le fiancé et la fiancée. » Beth Shammaï enseigne qu'on doit louer la kalla « telle qu'elle est » tandis que Beth Hillel affirme qu'on doit dire en toute circonstance « Une mariée belle et séduisante. » Beth Shammaï pose la question : si elle est aveugle et boiteuse, doit-on dire : une mariée belle et séduisante ? Pourtant la Torah enseigne : « Fuis la parole de mensonge ! » (Ibid.) Beth Hillel répond : d'après toi, si quelqu'un a fait sur le marché une acquisition de faible qualité, doit-on le complimenter et valoriser son achat à ses yeux, ou doit-on le dénigrer et en diminuer la valeur à ses yeux ? Il faut dire qu'on doit se montrer élogieux et valorisant. De là les Sages ont enseigné : on doit constamment se montrer compatissant envers les créatures humaines.
8 Dans le texte du Ḥafets Ḥayim, les deux premières conditions sont inversées. On s'est permis d'en modifier l'ordre, de manière à faire connaître en premier lieu la nouveauté que constitue l'exigence de deux personnes, sans laquelle la suite n'est pas facile à comprendre.
9 Voir plus haut chapitre 6, sections 9 et 10.
10 Méshikha (tirer un objet) est la forme la plus courante de kinyan (acquisition), l'expression virtuelle de propriété qui finalise la transaction concernant un objet meuble. On l'utilise pour l'acquisition d'un animal ou d'un esclave cananéen (Qiddoushin 22b).
11 Wayiqra – Lévitique 19,16, cité à de nombreuses reprises.
12 Ibid. 19,14.
13 Ibid. 25,17
