Chapitre 9 (1 à 6)
L'interdiction de la rékhilout (רְכִילוּת) ; Neuvième principe :
Neuvième principe : Remarques préliminaires
Dans ce chapitre, on décrira les situations où le issour de rékhilout ne s'applique pas, si certaines conditions sont satisfaites. Il comprend quinze sections.
Au chapitre dix de la première partie consacrée au lashone har'a, on a expliqué comment on peut parler négativement de quelqu'un qui s'est mal conduit dans les relations « de l'homme avec son prochain », lorsque l'intention est exclusivement de faire advenir un bienfait.
On va maintenant expliquer à quelles conditions on peut prononcer des paroles de rékhilout, si l'intention est de prévenir un dommage [potentiel]. Je prie HaShem, afin que je ne trébuche pas dans une question de Halakha (1).
Neuvième principe : première section
Si l'on voit son prochain sur le point de s'associer avec une personne, et qu'on pense qu'un dommage s'ensuivra certainement, on doit le lui dire, pour lui épargner ce préjudice.
Cependant, il faut que les cinq conditions suivantes soient réunies :
Neuvième principe : deuxième section
a) On ne doit pas se précipiter pour conclure qu'un dommage va se produire, mais on doit réfléchir soigneusement en premier lieu, pour s'assurer que l'issue sera en effet dommageable.
b) On ne doit en rien exagérer la chose, pour la rendre pire qu'elle n'est déjà.
c) L'intention doit être exclusivement le bénéfice [de son prochain], c'est-à-dire de prévenir un dommage, et non la haine de l'autre partie.
Quant à cette troisième condition, on ajoutera une autre préoccupation, à savoir qu'outre le motif d'agir pour le bien de son prochain, et non par haine, on doit s'assurer a priori qu'un bienfait sortira effectivement de [ses paroles]. Il arrive souvent, au contraire, que même si l'on parle à la personne, elle ne nous croira pas, s'associera tout de même, et par la suite, lorsque son associé l'irritera sur quelque sujet, il lui lancera : « Il avait raison de me dire de ne pas m'associer avec toi ! » ou des paroles de ce genre. Pour de telles personnes, dont on voit qu'elles possèdent cette mauvaise propension à la rékhilout (2), aucun héter n'est concevable, car on ferait trébucher ces aveugles sur ce commandement négatif absolu qu'est la rékhilout.
d) Si l'on peut obtenir un bon résultat sans dénigrer l'autre personne, c'est ainsi qu'on doit agir.
e) Tout cela n'est permis que dans la mesure où un dommage absolu ne s'ensuivra pas pour la personne dont on parle (3), du fait de ce qui est dit à son sujet. C'est-à-dire qu'il n'est pas permis de lui faire subir un préjudice effectif. On peut seulement le priver de l'avantage qu'il aurait tiré de l'association [envisagée]. Même si c'est effectivement une mauvaise chose pour lui, c'est permis en tout état de cause. Mais s'il subit un dommage réel du fait de ce qui a été dit à son sujet, il est interdit de parler de lui. Cela exigerait d'autres conditions, comme on l'expliquera plus loin, avec l'aide de D., dans les sections 5 et 6.
À plus forte raison est-ce interdit, lorsqu'il réalise que son récit sera la cause d'un grand dommage, plus grave que le din ne le prescrit.
Neuvième principe : troisième section
On va maintenant décrire une autre situation où le issour de rékhilout ne s'applique pas.
Si l'on entend quelqu'un déclarer : « Si je rencontre Ploni en tel ou tel endroit, je le frapperai, ou je l'insulterai, ou je l'humilierai ! », ou bien si on l'entend dire qu'il veut lui causer une perte financière, [le din] dépend de ceci : si cet homme est connu pour de tels comportements, puisqu'il a agi ainsi à de nombreuses reprises contre d'autres personnes, ou si on réalise, du fait des circonstances, que ces mots ne sont pas pure forfanterie, et que [leur auteur] va agir conformément à ses paroles, on doit le révéler à la partie intéressée. Peut-être pourra-t-elle en tenir compte, en sorte qu'elle ne subisse aucun dommage de la part de cet homme.
Mais là encore, on doit prendre garde à ce qu'aucune des conditions mentionnées plus haut ne manque à l'appel.
Neuvième principe : quatrième section
Bien que cette démarche [c'est-à-dire de divulguer la chose lorsque c'est nécessaire] soit une grande mitsva, à savoir « favoriser la paix (4) », il faut prendre grand soin de ne pas se hâter de révéler une telle information, sauf si, ayant réfléchi à la question, on sait que la personne prendra soin de ne pas se rendre seule dans le lieu concerné, de peur d'être battue ou insultée par cet homme, ou bien qu'elle suivra quelque autre conseil de ce genre, visant à mettre fin à la querelle qui les divise.
Car il arrive bien souvent qui si on dit à quelqu'un que Ploni a l'intention de l'insulter, sa colère contre lui s'échauffera davantage, et il se mettra lui-même en devoir d'aller lui chercher querelle. Celui qui a révélé cette chose risque par conséquent d'être la cause d'un plus grand conflit, D. nous en préserve. On doit donc réfléchir très soigneusement, avant toute chose, à la bonne manière d'arranger les choses.
Neuvième principe : cinquième section
Avec l'aide de HaShem Yitbarakh (5), nous allons à présent expliquer un autre grand principe en la matière, ce qui permettra de clarifier la cinquième condition (6). Sache que tout ce héter (cette permission rabbinique) dont on a parlé dans la première section ne s'applique que dans la mesure où la personne qu'on veut mettre en garde ne s'est pas encore pleinement engagée dans l'association envisagée, mais n'a fait que donner un agrément. Mais si l'accord est conclu (par chacun des partenaires, comme l'expliquent les Poskim, de telle sorte qu'il ne sera pas possible de se rétracter), [le din] dépend [des conditions] suivantes : si l'on sait qu'après que ces informations sur cet homme lui ont été révélées, l'autre [partie] ne lui fera aucun tort, mais qu'il prendra seulement les précautions nécessaires pour qu'aucun mal ne lui arrive, et que les conditions indiquées dans la section deux sont réunies, on peut agir ainsi [c'est-à-dire faire cette révélation.]
Mais si l'on sait que du fait de son caractère, l'homme à qui l'on a fourni cette information y ajoutera immédiatement foi a priori (soit qu'il ait coutume de croire à ce qu'on lui dit d'autrui, soit qu'il existe des « indices (7) » [confirmant la véracité de l'information], ou parce qu'il fait confiance implicitement [à celui qui a révélé la chose]), et [si l'on peut s'attendre à ce] qu'il tranche la question, décide d'agir, c'est-à-dire de se retirer de cette association, ou de nuire [à son partenaire d'une façon ou d'une] autre, même si le tort qu'il lui cause est moins grave que [la peine] que le Beth-din aurait prononcée si deux témoins s'étaient présentés devant le tribunal pour confirmer les informations ainsi révélées, alors, [dans de telles conditions], il est interdit de révéler quoi que ce soit.
C'est qu'il cause à l'homme [dont il a parlé] un tort qui ne serait pas advenu s'il avait témoigné à son sujet devant un Beth-din. Car même s'il avait dit exactement la même chose devant le tribunal, celui-ci n'aurait pas pu lui imposer une sanction financière en fonction d'un tel témoignage, puisqu'il est dans le cas d'un témoin unique8. Alors qu'en révélant la chose, il lui fera subir un réel dommage. D'après ce raisonnement, si deux personnes disaient la même chose et en témoignaient, il semble qu'il leur serait permis [de révéler l'information], puisque leur intention est exclusivement d'épargner un dommage à la personne [avertie], et non de causer à l'autre personne, par cette révélation, plus de mal que n'en permet le din. (Mais s'ils peuvent s'attendre à ce que la personne avertie cause à l'autre un dommage plus grand que celui qu'imposerait le tribunal sur la base de leur témoignage, ils n'ont pas plus de légitimité qu'un seul témoin, et il leur est interdit de parler.) Et bien entendu, il faut s'assurer que toutes les conditions mentionnées en section deux sont bien réunies.
Neuvième principe : sixième section
Le héter au sujet de deux témoins, dans le cas d'un homme qui risque de prendre lui-même les choses en main9 n'a de valeur que pour leur épargner la transgression du issour de prononcer des paroles interdites. Mais en tout état de cause, ils n'échappent pas à la qualification de « complices des transgresseurs », puisque par leur intermédiaire, la personne avertie en viendra [probablement] à commettre quelque action interdite. En effet, selon le din, il lui est interdit d'ajouter foi à leurs paroles, et de causer un dommage à son prochain, tant qu'ils n'ont pas témoigné devant un Beth-din, qui lui aura permis d'agir, comme on l'a vu plus haut10.
En vérité, il est très difficile d'imaginer qu'un cas pareil se présente dans la réalité, et permette d'autoriser, sans même évoquer la rareté des situations où les conditions [nécessaires] seraient satisfaites. On aura bien du mal à trouver des personnes qui parlent de leur propre chef [et non devant un Beth-din] et qui aient connaissance a priori de tous les dinim11 pertinents à ce cas, pour être capables d'évaluer si ce que Ploni fera à son prochain à cause des paroles prononcées est bien conforme à la loi de la Torah ! Par conséquent, on prendra bien garde de ne rien révéler à une personne dont le caractère le pousse à « prendre les choses en main », sans la permission du Beth-din, en sorte de ne pas se trouver pris au piège des « ba'aléi halashone. » [comme il est écrit] « Qui garde sa bouche et sa langue protège son âme des tourments12. »

mis en ligne le 10 Sivan 5783 (30 mai 2023)
_________________________
1 Cette prière (extraite de la prière à réciter avant l'étude du Talmud) n'apparaît que lorsque le Ḥafets Ḥayim se prépare à permettre certains comportements. Il est toujours en effet plus difficile de permettre que d'interdire, puisqu'on risque de faire fauter une communauté, voire le peuple tout entier ! (Précisons qu'interdire une chose permise est également une faute, car on alourdit inutilement le joug qui pèse sur Israël.)
2 Hébreu : « שֶׁיֵּשׁ לָהֶם מִדָּה רָעָה זוֹ דִּרְכִילוּת », littéralement : en qui il y a ce mauvais trait de caractère de la rékhilout.
3 Celle contre qui on met en garde un futur éventuel associé.
4 Voir Pirkéi Avoth (Maximes des Pères) 1,12 : « Hillel dit : ''Sois parmi les disciples d'Aaron, en aimant la paix et en poursuivant la paix'' » et Yéroushalmi Péah 1,1
5 « ה' יִתְבָּרַךְ – Le Nom [divin] qu'Il soit béni », expression traditionnelle pour désigner la Divinité.
6 Voir ci-dessus section 2. Il s'agit de l'interdiction de faire subir un dommage effectif à la personne vis-à-vis de laquelle on met en garde un potentiel associé, au delà de la priver d'une opportunité.
7 Voir ci-dessus 1ère partie 7, 10-12 et 2ème partie 6, 9-10.
8 Devarim – Deutéronome 19,15, « לֹא-יָקוּם עֵד אֶחָד בְּאִישׁ, לְכָל-עָוֹ – Que ne se lève pas un témoin unique pour toute faute. » Rashi : « Il est de principe, lorsque la Torah parle de témoins, qu'ils doivent être deux, à moins qu'elle ne spécifie explicitement qu'il peut s'agir d'un témoin unique (Sanhédrin 30a, Sota 2b) » (voir ci-dessus 1ère partie 4,5 et 6,12.)
9 Hébreu : « שֶׁטִּבְעוֹ לַעֲשׂוֹת מַעֲשֶׂה בְּעַצְמוֹ - dont c'est la nature d'agir par lui-même »
11 Les règles applicables selon la Halakha.
12 Mishléi – Proverbes 21,23 : « שֹׁמֵר פִּיו, וּלְשׁוֹנוֹ- שֹׁמֵר מִצָּרוֹת נַפְשׁוֹ » le Rabbinat traduit : « Mettre un frein à sa bouche et à sa langue, c'est se préserver de bien des tourments. »